East Side

18 octobre 2014

East Side

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Rue de la Haute Carrière à Gagny : une ville tranquille de Seine-Saint-Denis. Comme son nom l’indique, c’est un lieu où une grande partie des travailleurs bossait dans la carrière un peu plus haut, pour en extraire du gypse. Un endroit où la désindustrialisation n’a pas fait de ravages aussi visibles qu’ailleurs dans le département. Ici, ce sont des petits pavillons de banlieue que l’on peut se permettre d’acheter pour avoir un bout de jardin à soi après des années en HLM. Beaucoup sont d’anciennes baraques minuscules où l’on a cassé les murs et construit une extension sur l’ancien potager pour agrandir les pièces. Chacun s’est construit son propre château en Espagne, en Italie, au Portugal, en Algérie, au Maroc ou en Roumanie, selon la région d’origine du propriétaire. Les années du Mondial, tous les drapeaux sont sortis aux fenêtres. Beaucoup sont rangés rapidement, mais d’autres persistent à rester dehors, peu importe que l’équipe en question ait gagné ou perdu.

Quelques commerces animent la vie de ce quartier où chacun se parle, mais où on est mieux chez soi et entre soi. Spécialiste des mariages et des deuils, le fleuriste se prend régulièrement les effluves de graillon du kebab voisin. Il esquisse alors un sourire discret en guise de bonjour au patron du restaurant hallal, qui a la barbe aussi longue que lui n’a plus de cheveux. Les gens viennent de loin pour manger dans ce snack. Les livreurs à mobylette ne chôment pas non plus. Et le patron qui prend les commandes au téléphone a l’oreille qui a doublé de volume en fin de soirée. Bien sûr, ce succès est la cause de nombreuses allées et venues. Ce qui ennuie profondément le voisinage, qui n’a pas la chance d’apprécier les spécialités culinaires du quartier.

Plus loin : une des meilleures boulangeries de la ville. Il y a quatre ans, elle était encore gérée par un couple de vieux qui n’y croyaient plus. Beaucoup s’accordaient à dire qu’il ne fallait pas y acheter son pain. Un jour, le rideau de fer est resté baissé avec une affichette collée dessus : « changement de propriétaire, réouverture en septembre ». Les plus folles rumeurs ont couru sur le fait que le boulanger traditionnel du quartier serait désormais un Arabe. Dès le premier jour de la réouverture, le nouveau était effectivement bien un Arabe et depuis, il y a toujours la queue devant sa boutique.

En face, une épicerie. Les habitués du bar-tabac d’en bas de la rue viennent s’y approvisionner en Super Bock, vin de table ou alcools forts pour finir leur soirée après la fermeture du bistro où beaucoup d’entre eux jouent aux courses. On parle chevaux en français, en arabe, en chinois. Personne n’intègre le groupe de l’autre, mais tous communient, le nez en l’air, en direction de l’écran au fond de la salle d’où sont diffusées les courses hippiques en direct de Longchamp, Maisons-Laffitte ou Vincennes. Après avoir fait la queue avec d’autres pèlerins pour acheter cigarettes et jeux à gratter, le client prie la Sainte-Trinité : tiercé, quarté, quinté.

C’est certain, le quartier a la foi. L’église du coin en est la preuve. Comme dans de nombreuses paroisses du département, les messes, baptêmes et mariages sont très fréquentés par des Antillais, des Portugais ou des Catholiques d’Afrique de l’Ouest qui rendent le diocèse de Saint-Denis relativement dynamique. Les enterrements par contre sont plus franchouillards. Un peu à l’image du chapitre État civil du bulletin municipal. La partie décès est remplie de Jeannine, Gérard, Christian et Renée, celle des naissances de Sanjay, Safiya, Yassine et Angelo.

Quelques rues plus loin, il y a une pharmacie « Tiers payant & 100% SNCF, RATP Toutes caisses », les HLM d’en face ayant été principalement occupés par des salariés des chemins de fer. C’était avant qu’ils ne partent bâtir leur home sweet home quelques rues plus loin, avec une chambre pour chaque enfant. Un château dominait sur le domaine dès 1810 pour être détruit et remplacé par ce lotissement qui aujourd’hui se délabre petit à petit. La précarité devient la norme. Du mobilier cassé s’amasse régulièrement au pied des barres d’immeuble dans une déchèterie improvisée, où l’on peut voir de temps en temps des personnes venues d’ailleurs déposer ce dont elles ne veulent plus. Sans surprise, l’antenne-relais du coin est installée là, en haut d’une tour qui domine. Qui viendrait s’en plaindre ici ? Après tout, bénéficier d’une HLM à 25 minutes de Paris en RER, c’est un privilège.

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